Kafka, extrait édifiant de "Lettre au père" 1919 : "Il eut fallu un homme comme toi pour t'éduquer toi-même. Par contre, pour la mienne d'éducation, il m'aurait fallu un autre père, pas un Dieu craint à chacune de ses paroles comme si elles venaient du ciel. À table, m'interdisant tout, tu me disais ce qu'il ne fallait pas faire, mais toi, tu ne te privais pas de qualifier la nourriture de notre cuisinière de "Boustifaille", On n'avait pas le droit de ronger les os, toi, tu l'avais. Tu n'étais qu'un porc à manger comme un cochon, à te curer les ongles et te nettoyer les oreilles à table avec un cure-dent sans vergogne. Ne m'en veux pas si je te dis maintenant toutes ces vérités, ces vilénies, Il m'est difficile de me taire plus longtemps. Prends-les comme Des choses sans importance... J'ai longtemps culpabilisé et aujourd'hui encore il me reste quelques résidus De ce mal : ils se sont incrustés dans ma chair. Te souviens-tu D'avoir eu un enfant qui par excès de peur, a perdu l'usage de la parole ? Je pris d'abord une manière de parler saccadée et bégayante, Mais devant ton obstination à refuser les mots de ton fils, je finis par me Taire pour clore tous débats. Je devins, grâce à toi, le résultat de ton éducation...Si Dieu existe, pourquoi te laissait-il agir de la sorte sans te foudroyer ? Quelle injustice, quel scandale ! J'aurais dû, au moins une fois, te mordre à la jambe, Te faire saigner le sang mauvais en toi accumulé depuis le jour de ta naissance. Va, chien malade, godillot troué, crève la gueule ouverte, Tu n'as su être qu'un ennemi pour tous, et ça, crois-moi, je n'en suis pas fier...Si pour toi ton commerce était ton oeuvre, moi j'en avais une aversion absolue, Et rapidement tu compris que ton fils ne prendrait pas la relève, tu disais : Il n'est pas à la hauteur de mes affaires, il a trop d'idées dans la tête, Il est trop intelligent..."